La
Résilience
«La
résilience, c'est l'art de naviguer dans les torrents.»
Boris Cyrulnik
( Extrait d'une interview avec Antoine Spire - Le Monde de l'éducation
- Mai 2001)
C'est Boris Cyrulnik
qui fait (re)découvrir à la France ce terme aux saveurs
chironiennes. La vie de cet ethologue, psychanalyste, psychologue, neuropsychiatre
et écrivain français est impressionnante de par l'exemple
de résilience qu'il donne à chacun de méditer. Avec
lui, la notion de victime est également revisitée. Voilà
un être qui a su mettre en mots son expérience personnelle
et professionnelle malgré une pudeur et humilité naturelle...
Son Chiron se trouve en Gémeaux, conjoint au Descendant.
En quelques mots
simples, la résilience est une aptitude à rebondir et surmonter
les épreuves, d'après B.Cyrulnik en changeant notre regard
sur les faits, notre perception et parvenant à une vision nouvelle
de notre vécu. A lire d'urgence pour tous !
Chiron conjoint
à un angle ou à un luminaire semble donner à l'être
cet aptitude à la résilience.
Extrait d'une
interview par Sophie Boukhari, journaliste au Courrier de
l’UNESCO dont vous pouvez lire l'intégralité
ici
La
notion de résilience que vous développez dans vos derniers
ouvrages1 fait une très belle carrière. Pourquoi un tel
succès?
Quand
on se penche sur les enquêtes épidémiologiques mondiales
de l’OMS, on constate qu’aujourd’hui, une personne
sur deux a été ou sera gravement traumatisée au
cours de sa vie (guerre, violence, viol, maltraitance, inceste, etc.).
Une personne sur quatre encaissera au moins deux traumatismes graves.
Quant aux autres, ils n’échapperont pas aux épreuves
de la vie. Pourtant, le concept de résilience, qui désigne
la capacité de se développer dans des conditions incroyablement
adverses, n’avait pas été étudié de
manière scientifique jusqu’à une période
récente. Aujourd’hui, il rencontre un succès fabuleux.
En France, mais surtout à l’étranger. En Amérique
latine, il y a des instituts de résilience, en Hollande et en
Allemagne, des universités de résilience. Aux Etats-Unis,
le mot est employé couramment. Les deux tours du World Trade
Center viennent d’être surnommées «the twin
resilient towers» par ceux qui voudraient rebâtir.
Pourquoi
ce concept n’a-t-il pas été étudié
plus tôt ?
Parce qu’on a longtemps méprisé les victimes. Dans
la plupart des cultures, on est coupable d’être une victime.
Une femme violée, par exemple, est souvent condamnée autant
que son agresseur: «elle a dû le provoquer», dit-on.
Parfois, la victime est même punie plus sévèrement
que l’agresseur. Il n’y a pas si longtemps, en Europe, une
fille qui avait un enfant hors mariage était mise à la
rue alors que le père ne courait guère de risques. D’autre
part, les victimes des guerres ont honte et se sentent coupables de
survivre. La famille, le village les soupçonne: «s’il
rentre, c’est qu’il a dû se planquer ou pactiser avec
l’ennemi».
Après la Deuxième Guerre mondiale, qui fut la plus meurtrière
de l’Histoire, on a basculé dans l’excès inverse.
Les victimes sont devenues héroïques: elles devaient faire
une carrière de victime car on pensait que si elles s’en
sortaient, cela relativiserait les crimes des nazis. A l’époque,
René Spitz et Anna Freud2 décrivent des enfants dont les
parents ont été massacrés par les bombardements
de Londres. Ils sont tous très altérés, pseudo-autistes,
en train de se balancer, atteints de troubles sphinctériens.
Lorsqu’ils les revoient des années plus tard, Spitz et
Anna Freud s’étonnent de leur récupération
et écrivent clairement que ces enfants abandonnés passent
par quatre stades: protestation, désespoir, indifférence...
tous les étudiants apprenaient cela. Mais personne ne s’intéressait
au quatrième stade: guérison.
Comment
la résilience s’est-elle imposée en psychologie
?
Le mot, qui vient du latin resalire (re-sauter) est apparu dans la langue
anglaise et est passé dans la psychologie dans les années
1960, avec Emmy Werner. Cette psychologue américaine était
allée à Hawaï faire une évaluation du développement
des enfants qui n’avaient ni école ni famille, et qui vivaient
dans une grande misère, exposés aux maladies, à
la violence. Elles les a suivis pendant 30 ans. Au bout de tout ce temps,
30% de ces individus savaient lire et écrire, avaient appris
un métier, fondé un foyer: 70% étaient donc en
piteux état. Mais si l’homme était une machine,
on aurait atteint 100%.
Y a-t-il
un profil socio-culturel de l’enfant résilient?
Non mais il y a un profil d’enfants traumatisés qui ont
l’aptitude à la résilience, ceux qui ont acquis
la «confiance primitive» entre 0 et 12 mois: on m’a
aimé donc je suis aimable, donc je garde l’espoir de rencontrer
quelqu’un qui m’aidera à reprendre mon développement.
Ces enfants sont dans le chagrin mais continuent à s’orienter
vers les autres, à faire des offrandes alimentaires, à
chercher l’adulte qu’ils vont transformer en parent. Ensuite,
ils se forgent une identité narrative: je suis celui qui... a
été déporté, violé, transformé
en enfant soldat, etc. Si on leur donne des possibilités de rattrapage,
d’expression, un grand nombre, 90 à 95%, deviendra résilient.
Il faut leur offrir des tribunes de créativité et des
épreuves de gosses: le scoutisme, préparer un examen,
organiser un voyage, apprendre à être utile. Les jeunes
en difficulté se sentent humiliés si on leur donne quelque
chose (et si en plus, on leur fait la morale). Mais ils rétablissent
le rapport d’équilibre quand on leur donne l’occasion
de donner. Devenus adultes, ces enfants sont attirés par les
métiers d’altruisme. Ils veulent faire bénéficier
les autres de leur expérience. Ils deviennent souvent éducateurs,
assistants sociaux, psychiatres, psychologues. Avoir eux-mêmes
été des « enfants monstres » leur permet de
s’identifier, de respecter l’autre blessé.
(fin de l'extrait)
« Il
nous suffit d’être, pour être supérieur.
»
Boris Cyrulnik - Un merveilleux malheur
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